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Dialogue entre le débardeur à cheval et une propriétaire forestière
Dialogue entre le débardeur à cheval Florent Daloz et la propriétaire forestière Marion Ciréfice
Comment faire pour préserver sa forêt tout en l’exploitant ?
Texte mis en forme par Marion Ciréfice, adhérente au RAF, en août 2023.
Contexte : une rencontre pour préparer une coupe de bois qui sera débardée à cheval dans le cadre du Manifeste pour la Forêt porté par l’association Saute-frontière. Cet échange a eu lieu sur une parcelle forestière de 3 hectares dont Marion a hérité dans le Jura, à La Couronne.
Dialogue :
Florent : la forêt de la Couronne est assez bien mélangée entre sapins, épicéas et hêtres. Quelques semis. Mais pas complètement jardinée. Il manque quelques étagements. Les hêtres ne sont pas vilains et en nombre. Là, tu vois, une graine est venue se loger dans ce petit coin où il y a bien de l’humus au pied. Protégée de la neige, elle a pu se développer et trouver sa place contrairement à un arbre planté artificiellement.
Les plantes herbacées au sol cela veut dire qu’il y a de l’humus. Les hêtres sont souvent trop exploités pour le bois de chauffage et ce n’est pas bon pour les sapins qui ont aussi besoin de la concurrence avec les hêtre. Principe de sapins dominants. Ils balancent aussi beaucoup de feuilles et c’est bon pour l’humus. Il faut le mélange de tout. Ta forêt en est bien pourvue.
Marion : Tu peux repérer la limite de la parcelle en rouge sur les arbres… il y a aussi des traces de VTT.
Florent : Selon le côté de la marque, l’arbre est chez toi ou chez le voisin. Là tu as un beau sapin bien branchu avec les branches du bas sèches. L’arbre les élimine naturellement en allant chercher la lumière. il n’en a plus besoin pour la photosynthèse, celles du haut prennant le relais. Ce sapin a peut-être 80 ans. .. il arrive juste à l’âge adulte. Dans la futaie du haut-Jura, on les exploite entre 150 et 250 ans, voir plus si on les laisse vieillir. Les feuillus c’est plutôt 100. L’idée de marquer les arbres dans ta forêt, c’est pas de faire de l’exploitation, mais plutôt de faire un peu de sylviculture pour revoir des zones où il y a trop de hêtres. Faire rentrer un peu de lumière pour laisser repartir la régénération au sol. Un peu mais pas trop. Il faut que ce soit diffus.
Marion : Qu’est-ce qu’ils poussent droits !
Florent : les moches on les élimine. C’est toujours comme ça, on élimine les plus moches ! C’est un choix de sylviculture ! Ça pourrait aussi faire des arbres remarquables ! Mais c’est vrai qu’on cherche d’abord à mettre en valeur les beaux fûts … Même si dans la futaie jardinée mélangée, les essences viennent naturellement, on peut néanmoins la conduire, l’influencer en laissant plus d’épicéas, moins de sapins ou le contraire ou même des hêtres etc.. on intervient tout le temps. Un de mes voisins paysan a rasé toute la haie en limite du murger avec deux gros engins – bon, en retraite il a pas besoin de ça ! Il a démoli tout son mur en pierre ! complètement éclaté ! C’est à lui , mais il s’en fou ! Il a joué comme un gamin tout l’après-midi avec ses deux engins et a laissé toutes les branches au sol ! j’ai du toutes les rassembler car mes chevaux pâturent à cet endroit . Je le regardais et je me suis dit : « tu vois je crois qu’ avec mes deux chevaux j’irai plus vite que lui !
Marion : cet hêtre fourchu, il ne faudra pas le couper. On peut en avoir besoin pour la grimpe lors de l’animation.
Florent : A cet endroit, ça manque de houppier car le taillis de feuillus est un peu trop serré et ça peut les fragiliser. C’est sur que la nature va régler ça toute seule un jour ou l’autre, cassés par la neige ou le vent et ça va permettre aux autres de prendre toute leur place. Nous ont fait juste anticiper. Les jeunes on y touche pas car c’est l’avenir ! Celui là il va finir par sécher car il est complètement dominé et il part de travers pour chercher la lumière. Comme il est très fin, il risque de casser. Le petit là en face avec ces 10-15 cm de diamètre, à plus de chance.
Un bosquet comme ça de petits arbres, tu le coupes en une heure ! C’est pareil pour un gros épicéa. Quand on bûcheronne à deux sur un bois, on y restait parfois 1h30 car il fallait ébrancher, écorcer, tourner. Etc… Des bois d’un mètre cube et demi de moyenne, on en coupe 10 à 12 dans la journée. Ça fait 15 à 18 mètres cubes. On était soumis au travail à la tâche. Les rendements, je sais ce que c’est ! T’es en compétition toute la journée. C’est pour ça que maintenant j’ai plus envie de faire ça. Ma décision de couper ça ou ça, elle est toujours subjective. C’est moi qui influence. Mais je peux aussi me tromper. C’est notre ressenti. Un technicien qui me dit qu’il fait un martelage parfait, j’y crois pas ! D’ailleurs quand on passe derrière l’ONF, on est parfois surpris de leur martelage et certains bois on ne coupe pas par ce qu’il s ne méritent pas de partir ! Mais c’est vrai que l’ONF
n’aime pas que l’on remette en cause leur savoir faire !
Marion : tu entends le train en contre-bas dans la Vallée de la Bienne ?
Florent : c’est la micheline !
Florent : les épicéas restent très diffus ! Tiens celui là il a poussé sur une ancienne souche d’un arbre déraciné ou abattu. La souche une fois pourrie est transformée par les micro-organismes, les champignons etc. Ça fait un humus très riche où vient se loger la graine de l’épicéa. Du coup, ça donne des arbres plus costauds avec plus de chance d’arriver à maturité contrairement aux arbres plantés en ligne de manière totalement artificielle … sans tenir compte de la forêt !
Marion : oui, c’est important ça !
Florent : Celui-là est sec. Tu pourras le mettre directement dans ton poêle !
Quand il y a un buissonné comme ça dans les hêtres, on en enlève ! On choisit dedans. Là l’enlèverais bien les deux de chaque côté de l’épicéa. Il reste encore quelques hêtres.
On garde les sujets bien droits avec bien du houppier. La photosynthèse va les aider à se développer. Avec très peu de houppier l’arbre risque de sécher. Souvent les arbres en sous-étage ne peuvent pas survivre. Ils font leur propre sélection.
Je te fais un exposé technique : pourquoi on exploite ça ou ça … c’est pas un historique de la forêt. Juste comment faire pour préserver sa foret tout en l’exploitant. C’est aussi l’idée du RAF : on se sert de la forêt mais d’une manière durable et réfléchie. S’il y a une zone que l’on estime nécessaire à préserver en libre évolution, on la laisse. Le RAF préconise 20 % de zone en libre évolution.
Marion : On a vu lors de l’AG du RAF dans le Trière des zones protégées par du grillage pour éviter que les animaux n’y pénètrent.
Florent : là, il y a pas mal d’ épicéas au sol. On pourrait enlever celui là qui est plus gros que l’autre mais ça donnerait un peu de lumière ! On pourrait presque enlever aussi celui-là . Sur six, en enlever deux pour laisser la place aux petits épicéas.
Marion : ça correspond aux repousses suite à la dernière coupe de Claude Clément, exploitant forestier de Cinquétral, il y a dix ans. Là encore, tu vois, ça a redémarré sur une vielle souche.
Florent : les feuillards ce serait bien de les laisser vieillir dans nos forêts mais on ne leur laisse pas assez de temps pour grossir contrairement aux sapins qu’on laisse vieillir pour le bois d’œuvre. Bon là faudrait que je marque… tu me dis si j’ai le feu vert !
Marion : bien sûr ! Je te fais totalement confiance !
Florent : Bon alors je marque ?
Marion : Oui, marque !
Florent : C’est de la bombe bio-dégradable .. c’est pas l’idéal ! Il vaudrait mieux un ruban de couleur ou le martelage comme l’ONF mais si les arbres ne sont pas exploités tout de suite, on commet une blessure avec des risques de bactéries et de champignons. bon, voilà… Je fais une bande qui remonte tout droit jusqu’au chemin. Que ce soit bien visuel.
Marion : j’aimerais bien que l’on utilise cet espace sur la butte pour l’animation. Il y a une belle vue sur l’ensemble de la Couronne. Là bas dans le creux rien de pousse !
Florent : manque de lumière !
Marion : Là aussi la graine est venue se loger au creux de la souche d’un arbre coupé.
Florent : Les souches font beaucoup d’humus en pourrissant et sont favorables à ce qu’une graine puisse s’implanter et lever.
Marion : c’est comment une graine ?
Florent : Tu as déjà vu une fève, le fruit de l’hêtre ?
En forêt, les fruits se déplacent eux-mêmes avec le vent. Par exemple l’érable, il a comme des petites ailettes. Les écureuils déplacent aussi les graines de l’épicéa ou du sapin car en les grignotant, ils les distribuent un peu partout.
La relation animal-forêt, ça marche ensemble. L’un ne va pas sans l’autre. (Remontée dans la forêt vers le chemin du haut).
Tu peux faire tomber un gros l’arbre là où tu l’as décidé mais une fois que tu en as enlevé un, des fois il faut en enlever deux ! Petite erreur d’appréciation ! J’aime bien au moment de l’abattage pouvoir rectifier s’il faut.
Ils sont tous tellement droits qu’on a du mal à les enlever ! Mais quand même j’enlèverais bien ce gros là au milieu. C’est un beau fût et ça laisserait un peu plus de place à l’épicéa. Ça te va ?
Marion : et pourquoi pas celui à côté, le moussu ?
Florent : c’est une bonne question ! hésitation entre l’un ou l’autre ! C’est là que tu te dis que peut- être tu te trompes. L’autre serait mieux. Je ferai plutôt le premier car il tient plus de place et y a rien là au milieu.
Marion : rien ?
Florent : ça a besoin de régé, tu vois ?
Marion : ah d’accord !
Florent : Exceptionnellement j’enlèverai celui-là qui est beau et droit. On voit que dessous c’est tout humide. Les été passés quand tu marchais en forêt les mousses étaient totalement sèches et elles s’arrachaient très facilement car il n’y avait plus d’humidité, ce qui est catastrophique pour la forêt.
Marion : tu vois le bel épicéa derrière ?
Florent : celui avec la loupe…
Marion : ah voici lenfin une fourche de hêtre accessible ! Celle-là tu la coupe pas !
Florent : on peut effectivement considérer qu’au delà d’une vision d’exploitation ce bois est joli ! Donc on le laisse.
Marion : oui, c’est un Entrelacement du vivant !
Florent : avec celui d’à côté. Comme deux amoureux ! Alors on les laisse ? pour la beauté du truc ! Si tu faisais faire une coupe par un marchand de bois ou une coopérative, et bien je te dis que tu pourrais serrer les fesses ! Parce que là des hêtres ils vont t’en plumer, ils vont pas te laisser grand- chose ! ça c’est sûr ! Là il y aura de la lumière !
Marion : Mais c’est pas ce qu’on veut !
Florent : tu vois l’habitude des forestiers : bois moche, double, on le marque ! Et là pas de chance, je suis surveillé ! Photo et tout ! (RIRES) C’est vrai que des fois il faut que l’on se corrige car on a tellement l’habitude de faire avec le plus beau fût… la sélection elle se fait en fait par la valeur du bois après. Donc on y met une raison économique avant la valeur du bien pour la forêt. Celui-là on va le laisser pour le moment. Peut-être on l’enlèvera un peu plus tard. Là les feuilles sont sèches, donc celui-là il peut partir. On pourrait aussi le laisser mourir sur pied dans la foret. Celui-là par contre il va partir parce qu’il y a de beaux sapins derrière
C’est super une parcelle comme ça avec beaucoup de hêtres ! Ça fait beaucoup d’humus et on voit que la régé est présente. Bon, le sec ,on l’enlève ?
Marion : oui . Après je me pose la question de la manière dont on va procéder pour que lors de l’animation les gens puissent profiter de tes explications sur les choix de coupe.
Florent : oui justement je vais quand même en laisser un petit peu. Mais moi je vais être avec mes chevaux, la tronçonneuse.. Je vais demander au frangin qu’il vienne couper à mesure - sans faire tourner la tronçonneuse tout le temps ! - et qu’il participe à l’animation. Bon, on va dégager le sapin.. non c’est un épicéa ! L’écorce est marron. Sur les sapins, l’écorce ne fait pas beaucoup d’écaille comme sur l’épicéa. Par contre elle est grise avec des petits points. On appelle ça une baillonnette. Celui-là il a été abîmé mais il est reparti ici.
Marion : c’est ça la graine ?
Florent : oui tu vois il fait déjà des fruits tous petits. Le cône de l’épicéa pousse vers le bas. Un peu allongé...
Marion : des pommes de pin !
Florent : oui mais celles du sapin elles poussent droits en haut. Elles sont plus vertes. Verticales mais contre le haut. Après elles tombent et les écureuils vont les décortiquer, transporter les graines, les cacher et dans le tas en oublier … car il n’a pas beaucoup de mémoire ! Bon là j’irai pas plus loin. D’ici cet automne je reviendrai une fois faire le martelage et mettre les numéros pour savoir combien de bois à couper et estimer le volume : ça fait 0,2 ou 0,3 ou 0,4 mètres cubes sur pied !
Tu verras, si pour toi c’est trop, on en laisse ! La peinture est bio-dégradable !
Marion : là bas il y a deux arbres secs.
Florent : une chandelle ! De vieux épicéas … ils sont cuits ! Y’en a un qui est déjà cassé. Les champignons ont fait œuvre là-dedans.
Marion : donc on les laisserait. ..Faut pas trop aller par là, c’est pleins de lésines.
Florent : y’en aura encore à faire, par après !
Marion : on se donne comme limite le gros épicéa ! Ça fait un repaire !
Florent : y’a vraiment de quoi faire !
Marion : ici c’est un pré-bois.
Florent : oui, c’est joli les pré-bois sur le haut-Jura. Des endroits où peuvent se mettre les vaches. Les bois sont un peu plus dispersés. T’as des gros épicéas avec des grosses branches et quelques hêtres. ça c’est un érable.. non, un tilleul !
Marion : un tilleul ! Ah ça alors !
Florent : donc on va le couper tout de suite !
Marion : ah non !
Rires communs.
Florent : surtout laisser les tilleuls !
Marion : t’as vu cet épicéa s’il est beau ! Il a quel âge ?
Florent : il a au moins 150 ans ! Si on le coupait on pourrait voir la vie de l’arbre avec des accroissements très serrés et tout d’un coup d’un côté tu vois qu ‘ils sont plus larges, ils s’allongent... parce qu’à un moment, un bois est parti. En lui donnant de la lumière, ça accélère sa croissance. Puis à nouveau il se retrouve avec un arbre qui a poussé et ça va limiter sa croissance.
Marion : est-ce qu’il n’y a pas des trous dans ce tronc là-bas ?
Florent : attends, on va s’approcher. Effectivement, c’est un pic qui a fait ça ! Sale bête ! Avec cette blessure, il sera pas sain au pied. Y’a bien des chances que quand on va l’abattre il y ait une partie de pourriture.. des fois on purge pour ne conserver que le bois sain et la pourriture reste en forêt . Mais il a bien résisté ! C’est comme nous, tu peux être agressé par des choses extérieures et il y a des risques de bactéries
Marion : et l’épicéa bolstriché là-bas ?
Florent : Le bostrich n’est plus actif. On y voit quand il se loge sous l’écorce et que celle-ci fait des choses bizarres. Les larves des mouches se nourrissent de la sève et le fond sécher. Une fois que l’écorce est tombée, c’est trop tard.
Celui là on pourrait l’abattre pour le fun le jour de l’animation. On verrait d’abord le fût sur pied. Le tronc est abîmé mais peut-être que plus haut le fût serait bon à prendre ! Si je trouve une place je l’abats ! Là le hêtre est sec, donc on le mettrait tout droit là-bas.
Marion : je n’avais jamais vu cet épicéa bolstriché … pourtant je les regarde mes arbres !