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jeudi 21 octobre 2021

De lutte en lutte : Récit de la mobilisation contre la méga-scierie Florian par des habitant-es de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

Retour sur la mobilisation des 29 et 30 mai 2021 à Lannemezan (Hautes-Pyrénées)

Par des habitant.e.s de la zad de Notre-Dame-des-Landes

À Notre-Dame-des-Landes, nous préparions notre départ pour Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées, en vue du week-end de mobilisation des 29 et 30 mai 2021 contre le projet de méga-scierie Florian, pendant que nombre de nos camarades rentraient d’un autre week-end de mobilisation tout aussi loin en Haute-Loire1 : une lutte comparable portée avec plein d’autres similaires sous la bannière commune des Soulèvements de la Terre.

Ici comme là-bas, autant de projets inutiles et destructeurs, mus par des logiques de profits de grands groupes industriels se substituant aux usages artisanaux, paysans, ou vivriers des habitant.es des territoires.
Le trajet était long mais en valait la peine : nous y avons vécu un très beau week-end d’actions et de rencontres, qui donnent l’envie de soutenir pleinement la lutte :

Florian est un projet de méga-scierie qui demande pour s’installer à pouvoir scier 50 000 m3/an pendant 15 ans d’une unique essence – le hêtre. Mais pour atteindre ce volume de qualité sciage, il faudrait abattre annuellement environ 500 000 m3/an… Une ressource de bois qui est largement surestimée, en tout cas inaccessible au vu du relief de certains massifs et de l’absence de dessertes forestières, s’inquiète le collectif Touche pas à ma forêt.

Au fil des rencontres et des discussions sur la forêt Pyrénéenne, nous avons compris ceci :

1/ Le temps de la forêt vs. celui du projet

Le projet Florian a (mal) fait ses projections sur quinze ans, comme si c’était une garantie de durée assez longue. Or ce n’est pas le temps de la forêt, qui revendique le long terme en centaines d’années.
Quinze ans, c’est juste le temps pour Florian de piller les forêts pyrénéennes. Mais c’est à peine le temps de faire deux éclaircies successives en hêtraie (que ce soit en sylviculture douce ou même intensive).

2/ Pour bien comprendre la situation

Mais pour les élus locaux, le projet tombe à point : le hêtre trouve de plus en plus difficilement de débouchés dans les Pyrénées, ce qui cause un déficit de rentrées financières pour les communes de montagne et des difficultés de main d’œuvre pour la filière bois régionale. Et le projet Florian, certes coûteux, serait subventionné à 60 % par la région et l’État (!!).
L’ONF, établissement de moins en moins public mais à caractère de plus en plus industriel et commercial, voit quant à lui une simplification de son travail à large échelle, en ne traitant possiblement plus qu’avec un unique acheteur. Ce qui va bien avec la suppression de postes et la dérive de privatisation en cours.
À l’encontre de cette scierie géante, le collectif Touche pas à ma forêt s’est créé en 2020. Il est composé de 48 organisations regroupant des partis politiques, des syndicats, des associations naturalistes et environnementalistes, et d’individus. Nous avons rencontré quelque unes des personnes qui composent ce collectif singulier : des habitantes et habitants, des forestiers du SNUPFEN (syndicat de l’ONF), des élus…

Ensemble, ces personnes dénoncent

  • Une démesure extractiviste qui exercerait une prédation sur les forêts de toutes les Pyrénées. On sait pourtant que le bois cesse d’être un matériau écologique lorsqu’il est transporté sur plusieurs centaines de km.
  • Un gouffre d’argent public : Outre les 40 à 60 % de subventionnement, l’exploitation des bois supposera l’ouverture de pistes forestières elles-mêmes subventionnées par de l’argent public, pour des coupes qui ne pourront de toutes façons pas se répéter de façon durable au vu des volumes annoncés.
  • Et surtout, une aggravation du modèle économique basé sur des logiques de grande échelle pour des intérêts financiers privés tenant entre leur main le monopole de la filière bois.

3/ Où en est la lutte

Face à la contestation, et en l’attente des élections régionales (juin 2021), les porteurs politiques du projet Florian ont finalisé une « étude-concertation » qui devrait permettre pour l’État de rencontrer l’ensemble des parties intéressées et de faire le point à l’automne 2021. Il semble qu’ils commencent à reculer en envisageant de réduire le dimensionnement du projet. Mais c’est toujours sans entendre les critiques de fond.
L’équipe de Carole Delga « Occitanie en commun » (union de gauche et écologiste) ayant été ré-élue, il faut s’attendre à ce que Florian soit relancé tout bientôt, dès le rendu du bilan de l’« étude-concertation ». Tenons nous prêt.es !

4/ Un week-end important

La dernière manifestation du samedi 29 mai à Lannemezan tombant au sortir du confinement en même temps que beaucoup d’autres évènements locaux, rassembla beaucoup moins qu’attendu : 500 personnes seulement, contre 1500 la fois précédente. Mais en conclure la faiblesse du mouvement serait une grossière erreur. Car il s’est produit quelque-chose d’important lors de ce week-end : Le rassemblement du samedi après-midi et du dimanche au CCAS de Nestier fut un franc succès, tant du point de vue du monde qui s’y est rendu que de l’intérêt porté aux discussions de fond. Les rencontres qui s’y sont produites sont constitutives de l’histoire du mouvement.

Le programme des discussions y fut remarquablement riche et intelligent : Les réflexions portaient sur des sujets de fond, comme le mythe de la neutralité carbone du bois, qu’entretiennent les industriels de la filière bois ; sur comment agir concrètement pour une économie du territoire qui soit plus juste et plus durable ; sur les expériences de luttes et les alternatives.

Des camarades du Morvan sont venus témoigner de la lutte victorieuse contre le projet Erscia (un autre projet de méga-scierie, surtout destiné à capter des subventions du bois trop facilement considéré « matériau écologique », et qui fut abandonné en 2014) et du groupement forestier du Chat Sauvage qu’ils ont créé suite à leur victoire, pour acquérir des parcelles forestières et les soustraire à la monoculture industrielle résineuse en douglas (120 ha acquis à ce jour, bravo à eux !).
Jean-Claude Dutter est venu parler de la lutte en cours à Oloron-Sainte-Marie (64), où l’ACCOB (Association pour la conservation du cadre de vue de l’Oloron et du Bager) lutte pour défendre 3 ha de forêt menacée par une carrière, bien que classée EBC (Espace boisé Classé). « Pour justifier de détruire un EBC, ce doit être une carrière d’un minerai vraiment précieux… ? » se dit-on… Non, du gravier. (Le lien : http://foretbageroloron.canalblog.com/)
Thomas Brail, un militant et « père de famille » qui a fait parler de lui en occupant un arbre durant vingt-huit jours devant le ministère de la transition écologique, a également raconté son expérience. Il s’oppose aussi à un projet de scierie géante dans le Tarn.
Et nous, qui sommes aussi venus raconter ce qui a donné de la force au mouvement anti-aéroport pour vaincre le projet à Notre-Dame-des-Landes (selon nous : une culture de la lutte liée à la mémoire de victoires passées ; une détermination allant jusqu’à la confrontation physique et au sabotage ; une composition réussie entre des façons de lutter complémentaires ; l’importance du facteur temps, et de gagner du temps ; le développement simultané d’une alternative désirable comme obstacle physique et symbolique au projet d’aéroport).
Nous avons également parlé de l’ambitieuse campagne de lutte en réseau que constituent Les Soulèvements de la Terre, tant les problématiques foncières, politiques et économiques sont identiques. Nous invitons le collectif Touche pas à ma forêt et Les Soulèvements de la Terre à se mettre en lien pour penser et communiquer leurs luttes ensemble.

5/ Des projets similaires à venir un peu partout

Le projet Florian n’est pas le seul projet de scierie ou de chaufferie bois démesuré à venir. Ce genre de projet est dans l’air du temps. L’on se souvient du projet monstre Erscia dans le Morvan, que la lutte a vaincu. Il y en aura d’autres. Il y en a déjà d’autres : Dans le Tarn, SIAT projette une autre scierie démesurée.

Il faut aussi penser aux méga-projets de centrales à énergie bois qui ne manqueront pas de menacer fortement les forêts, surtout dans un contexte où les énergies fossiles sont de plus en plus décriées. La tentation sera de plus en plus forte de vouloir développer des centrales similaires en dimension mais « à biomasse » et donc étiquetées « vertes ». Malgré les contestations, la centrale à biomasse Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône a été construite et rafle à peu près toute la biomasse jusqu’à 400 km, mettant les forêts sous pression. Mais il y aura d’autres projets à venir.

Les luttes victorieuses marquent l’histoire. Une lutte déterminée et efficace maintenant à Lannemezan aura un effet bien au-delà de ce seul projet. C’est un préalable nécessaire pour avoir un effet de frein sur tous ces projets actuels et futurs, où qu’ils soient.

6/ Une première phase de la lutte

Pour le moment, l’opposition au projet Florian est encore dans une phase de dialogue, d’argumentation, et de se faire connaître, en espérant l’abandon raisonnable du projet. Et n’en est pas encore à appeler à l’occupation durable du site ni au sabotage, même si c’est pour elles et eux une hypothèse envisagée si les décideurs jouent de mauvaise foi et font les sourds. Par contre, le collectif travaille déjà à renforcer la possibilité d’artisanat dans la région pour développer l’alternative à une économie hyper-industrielle de la région.

Ainsi, nous avons aussi entendu un menuisier exprimer l’impossibilité de se fournir en bois en quantités moyennes, et surtout localement. L’économie est ainsi organisée qu’il faut aller chercher les bois loin, auprès d’industriels toujours plus gros, et en grande quantité pour rentabiliser le trajet. Absurde dans une région si forestière ! En réponse à cela se prépare le projet enthousiasmant d’installer des petits locaux de bois abritant des stocks de bois en quantités modestes (une centaine de mètres cube de différentes essences), disponibles à l’achat pour l’artisanat, en tête de chaque vallée de la région. Ce qui lèverait un important facteur limitant la survie économique d’activités artisanales dans la région. Et pourrait avoir des répercussions jusqu’en forêt.

Conclusion

Nous avons été très touchés de voir les moyens mis en œuvre pour s’opposer non seulement au projet de méga-scierie mais aussi plus largement à des politiques de territoire. La portée de cette lutte n’est pas juste locale. Elle pourrait bien résonner loin, et longtemps.

Nous appelons toutes les personnes sensibles à ces questions à suivre de près l’avancée de cette lutte, à la faire connaître, et à se rendre à Lannemezan pour les prochaines mobilisations.

Ces rencontres de mai ont fructifié d’un appel à mobilisation pour des forêts vivantes et contre leur industrialisation, qui s’organiseront en trois temps. L’appel se trouve ici : https://www.terrestres.org/2021/08/02/appel-pour-des-forets-vivantes/ Le premier temps consistera en des actions décentralisées le week-end des 16 et 17 octobre 2021. Les dates des deuxièmes et troisièmes temps seront annoncées prochainement. Évidemment, nous nous joignons à cet appel.

Des habitant.e.s de la zad de Notre-Dame-des-Landes