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Récit d’une sortie pédagogique en forêt

Encore un récit très inspirant de Joseph Brihiez, membre du RAF actif dans la branche locale Normandie !
Il nous partage le projet et le déroulé d’une journée pédagogie en forêt en Normandie, réunissant des étudiants de plusieurs horizons, faisant le pont entre enjeux forestiers, l’écologie et l’artisanat.

"Le 21 mars 2022 s’est tenue une journée particulière dans la forêt domaniale de la Londe-Rouvray proche de la ville de Rouen en Normandie. Un groupe de charpentiers et de charpentières (CAP, BP) du CEREF de Bourgtheroulde et un groupe d’étudiants et d’étudiantes d’écologie (de la licence au doctorat) de l’Université de Rouen se sont rencontrés dans et autour de la Maison des forêts d’Orival. L’idée de cette journée en forêt était simple : sortir des ateliers et des amphithéâtres pour se retrouver aux pieds des arbres et entamer, en leur présence, un dialogue dans cet environnement forestier commun. Une réflexion écologique donc, mêlée à des considérations artisanales à travers une attention pragmatique au bois et aux arbres.

Ce projet flottait dans l’air depuis quelques temps. Il a émergé lors de ma formation au CAP de charpentier réalisée en alternance, après une licence d’Écologie. Je faisais alors ce constat tout simple : il n’y avait, dans les cours préparatoires au métier de charpentier, aucune place accordée à l’arbre et encore moins à la forêt. Aujourd’hui le travail du charpentier se fait dans l’atelier et est entièrement tourné vers le chantier. Non pas que la forêt ou les arbres désintéressent, c’est tout simplement que pour réaliser des charpentes qui répondent non seulement aux critères d’évaluation du diplôme (CAP, BP) mais surtout aux normes et aux technologies actuelles, il n’y a pas besoin pour un charpentier de se soucier de la forêt, de la provenance du bois, de la singularité de l’arbre. Le charpentier est le second transformateur du bois. Avant lui la première transformation, largement industrialisée, se charge de préparer la matière calibrée et normée, une matière homogène et prête à l’emploi.
En licence d’Écologie, si l’attention à la forêt est réelle, elle se porte davantage sur le fonctionnement de l’écosystème et sur sa préservation que sur la valorisation des produits de la forêt.
Des charpentiers et des charpentières, rencontrés tout au long de mes pérégrinations ligneuses, valorisaient pourtant des savoir-faire manuels et donc un tout autre rapport à la matière ouvrée. De fait la technique de l’équarrissage à la hache nécessite un bois fraichement coupé : un bois vert. Ce besoin en bois vert oblige ces artisans et artisanes à travailler à partir des forêts proches de leurs ateliers ou de leurs chantiers afin de garantir la fraicheur du bois. Cette proximité se traduit parfois par un passage en forêt pour choisir les arbres à l’ouvrage, elle passe quoiqu’il en soit par un lien direct aux forestiers. Les écologues privilégient pour leur part, plus ou moins fortement, une vision principalement conservatoire de la forêt, avec un regard distant sur l’exploitation raisonnée ou pas.

La matinée de cette journée a été rythmée par 3 conférences :
La première, proposée par Éric Lion formateur du BP charpente au CEREF de Bourgtheroulde, portait sur l’historique de l’usage du matériau bois dans la construction et l’évolution des techniques en charpente notamment dans le contexte normand. La seconde présentation, proposée par Pierre Margerie, professeur agrégé du laboratoire ECODIV (Université de Rouen), constituait une introduction à la physiologie de l’arbre et à l’écologie forestière à travers le prisme du sol forestier. La matinée s’est achevée par une intervention du charpentier Rémy Desmonts et de son apprentie Lou Karoui (SARL Desmonts). Leur présentation nous a donné l’exemple d’un travail de charpente en prise directe avec les forêts locales. En effet cette entreprise propose depuis plusieurs années des charpentes en bois équarris. Celle-ci valorise ainsi des arbres non seulement locaux (essentiellement feuillus), mais surtout courbes, irréguliers et donc inutilisables par l’industrie de la construction bois. Le fonctionnement de la SARL Desmonts s’appuie ainsi sur un dialogue permanent avec le monde forestier (experts, exploitants, propriétaires).

L’après-midi s’est déroulé en extérieur dans les parcelles bordant la Maison des forêts. Il s’agissait d’un exercice de lecture croisée d’arbre. Chaque groupe, composé de 2 charpentiers, charpentières et de 2 écologues, devait choisir (tout en justifiant par des critères de qualité, de logistique et surtout de pression sur l’écosystème) un ou plusieurs arbres pour réaliser une ferme pour une charpente fictive. L’enjeu n’était pas de mettre en œuvre une structure qui respecte rigoureusement les normes actuelles. Il s’agissait plutôt de s’autoriser à être inspiré/contraint par ce que les arbres existants proposaient, dans leur diversité d’essences, de formes tout en considérant leur place singulière dans le milieu forestier.

En fin d’après-midi les arbres sélectionnés ont été présentés. Les diverses décisions ont ouvert des discussions et débats entre les participants et participantes.
A la suite de cette journée les retours ont été très positifs, évidemment… avec un ciel pareil. Certaines pistes devront encore être améliorées, notamment par une approche plus détaillée des modes de gestion forestière en France.
Cette journée aura, nous l’espérons, affûté les différents regards présents. Elle sera renouvelée l’année prochaine.

Nous avons touché leurs écorces et leurs écorces ont touché nos mains, comme une invitation à lire d’autres lignes sinueuses… ligneuses.

Joseph Brihiez

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